Des formes de pouvoir et du rôle de l’encadrement
Pour qu’il y ait équipe et coopération, trois principes fondamentaux sont nécessaires :
- un collectif se reconnaissant à travers un genre professionnel,
- un projet commun déterminé comme objectif de l’interprétation individuelle du prescrit,
- et l’institutionnalisation du conflit de critères et de la controverse professionnelle, en tant qu’interprétation collective du prescrit.
Cela signifie donc une histoire, un sens visé et une capacité à produire de nouvelles règles (activité déontique), qui contribue à nourrir l’histoire commune dans un sens partagé. De ces trois principes, deux sont symboliques du pouvoir de régulation de l’organisation et de la gouvernance de l’entreprise (la définition du projet commun et l’institutionnalisation de la controverse professionnelle) mais ils sont tout à la fois une autorisation à critiquer ce même pouvoir de régulation, ce qui – selon les représentations du pouvoir managérial en place – n’est pas toujours accepté, ou acceptable, pour les hiérarchies en place1.
Rappels sur les questions de « pouvoir »
Max Weber identifie trois sources de légitimité accordée au pouvoir sous la forme de trois types de domination possibles :
- rationnelle (caractère légal de l’exercice de la domination),
- traditionnelle (légitimité de l’exercice de la domination donnée par la tradition)
- ou charismatique (exercice de la domination justifié par le caractère sacré ou héroïque).
Si nous confrontons cette distinction aux différentes postures managériales visibles aujourd’hui dans les organisations, nous retrouvons symboliquement une possible légitimité par le titre donné, par une supposée expérience acquise, ou par l’investissement et les actes. Or de fait, selon la source présumée du pouvoir dont le manager peut user, ce dernier n’aura pas forcément la même facilité à autoriser la critique de ce pouvoir, ou à la prendre en considération plus exactement.
C’est d’ailleurs ce que nous rencontrons dans la littérature de ce « tournant gestionnaire ». Nous prendrons comme exemple un ouvrage qui fait date auprès de ce public, Reinventing Organizations dans lequel Frédéric Laloux décrit les différentes formes d’organisations qui se sont succédé et dont nous retrouvons, du fait de l’accélération des évolutions managériales de ces dernières années, tous les archétypes dans la société actuelle : stade impulsif (rapport de force purement autoritaire), stade conformiste (rapport de force orchestré par la division du travail), stade de la réussite (rapport de force orienté sur l’innovation et les objectifs), stade pluraliste (rapport de force « adouci » fondé sur le respect des parties prenantes et les valeurs partagées) (Laloux et al., 2017).
👉 A travers cette évolution, c’est bien la légitimité du pouvoir et l’enjeu du rapport de force qui sont au centre des organisations, questions qui sont définies d’abord par ceux qui portent le pouvoir et l’autorité, à savoir les dirigeants et managers, c’est-à-dire la gouvernance de l’organisation. Quand cette gouvernance, par ces multiples personnalités aux différents niveaux de l’organisation, est cohérente et congruente, la capacité des collectifs de travail à critiquer la prescription est clairement identifiée. Quel que soit le niveau de l’autorisation qui est donnée par la gouvernance, celle-ci est identifiable car lisible à travers toute l’organisation. Cela détermine le niveau de coopération que les équipes peuvent atteindre, et garantit une certaine forme de sécurité par la capacité à visualiser sans surprise les limites du pouvoir de chacun. De même, le projet commun est-il confirmé à tous les niveaux de gouvernance et ainsi clairement identifiable pour chacun.
Que se passe-t-il quand à l’inverse les personnalités composant la gouvernance n’ont pas la même vision du rapport de force qui s’exerce et de leur rôle de régulation du travail ? Ou que la définition du projet commun varie selon les instances de la gouvernance ? La coopération ne pouvant s’instaurer que sur un système de valeurs communes, permettant l’interprétation individuelle (projet) et collective (controverse), celle-ci pourra s’organiser à un niveau local, partiel, de l’organisation, mais pas de façon transversale à travers toute l’organisation. Elle s’arrêtera aux divergences, structurelles ou symboliques, de l’organisation. Et en cela, elle va venir confronter le niveau collectif fonctionnel au périmètre de fonction, au périmètre décisionnel, du plus haut niveau hiérarchique congruent. Si celui-ci est clairement établi, sans travailler sur l’organisation complète, il sera possible de travailler sur des unités de travail identifiées dans lesquelles la coopération est opérante et la controverse professionnelle possible. Mais si ce plus haut niveau hiérarchique congruent est lui-même mis en défaut par une latitude décisionnelle peu lisible, comment identifier le juste niveau d’intervention pour permettre de développer le pouvoir d’agir des professionnels ?
Reprenant les éléments définissant la culture d’entreprise, culture organisationnelle, et son projet pour la société, comme un lieu d’échanges et de compromis permettant la production de sens pour, par, et dans le collectif, nous pouvons ainsi définir que la culture organisationnelle est au collectif de travail ce que le genre professionnel est au collectif métier : un « sur-destinataire » qui oeuvre comme cadre de référence permettant l’interprétation collective et individuelle de la prescription du travail et qui appelle la production de sens et de règles pour le maintenir vivant et l’historiciser.
👉 Développer la coopération, c’est élaborer une méthodologie qui permette d’instaurer durablement cette activité déontique dans les collectifs de travail et les collectifs de métier.
- (Bounamous, 2019) ↩︎
Tags: Management, Théorie