❗ Lorsqu’une organisation nous demande d’intervenir, notre premier devoir est d’identifier toutes les « demandes » à l’oeuvre à l’instant t et de confirmer notre capacité à intervenir en respectant notre posture déontologique.
La demande d’enquête, d’expertise ou d’intervention dans le champ de la santé mentale au travail est la forme primordiale dans laquelle s’exprime la souffrance. C’est la forme dans laquelle elle devient appel à l’aide, c’est la forme dans laquelle elle s’adresse à l’autre.
Christophe Dejours, 2019
Dans cette définition de la demande, Dejours nous indique que celle-ci émane d’abord des travailleurs en situation de souffrance. Mais aussi que cette demande a petit à petit été médiatisée par d’autres instances – managers, élus, direction – qui ajoutent elles-mêmes leurs propres contraintes et attentes, et peut-être aussi leur propre souffrance, jusqu’à aboutir à la recherche d’un intervenant avec une certaine formalisation de l’attente générale.
Le danger que nous pressentons souvent est que la demande initiale, ainsi médiatisée avant d’arriver jusqu’à nous, se soit éloignée de certaines formes de souffrance. Aujourd’hui, souvent, la médiation de la demande (et donc de l’expression de la souffrance au travail) se fait de plus en plus au travers du prisme juridique et légal. C’est-à-dire que les commandes des directions sont souvent liées à la prévention tertiaire (crise), quel que soit les niveaux de vigilance mis en oeuvre par celle-ci.
En effet, une organisation en souffrance, c’est une organisation dans laquelle le dialogue autour du « conflit de critères » n’est pas acquis, la « souffrance au travail » n’a pas alors de voix pour être portée à la vue de la direction avant un événement critique qui tout à coup la rend visible. Ce qui devient soudainement un enjeu de « survie » de l’entreprise, puisque légal, voire pénal.
Dans un tel cadre, pouvons-nous encore parler d’une demande comme émanation de la souffrance des travailleurs ? Elle est non seulement médiatisée par des instances tierces dont les objectifs divergent, mais teintées en plus par une contrainte règlementaire, et dans une recherche davantage curative que préventive (prévention tertiaire).
👉 Pour l’intervenant alors, la question au coeur de toute analyse du travail, avant le démarrage de l’intervention elle-même, est de déterminer qui seront les bénéficiaires de l’intervention et de clarifier les différentes demandes à l’oeuvre dans la commande initiale. C’est pourquoi un premier temps de pré-diagnostic est toujours demandé avant une intervention réelle : quelques entretiens avec des acteurs clés de l’organisation, quelques documents organisationnels type (accords d’entreprise, comptes-rendus de CSE, chartes managériales et autres). Cette analyse de la « trace écrite » et ces premiers échanges nous permettent de construire une commande finale à valider avec le commanditaire pour garantir que notre action réponde à toutes les « souffrances » à l’oeuvre.
👉 C’est un des enjeux clé de la transformation de la demande en commande, et du succès d’une intervention en clinique de l’activité visant une coopération saine et performante dans l’organisation : identifier les bénéficiaires réels de la transformation, les demandeurs (travailleurs en souffrance) et les porteurs de la demande (médiateurs directs) et en comprendre les enjeux pour chacun ; tout en intégrant les enjeux des commanditaires et de l’organisation.
Cette commande est donc l’aboutissement d’une négociation intégrant les objectifs, besoins, attentes, contraintes, enjeux du commanditaire (décisionnaire stratégique), du porteur de la demande (décisionnaire opérationnel ou instance représentative), des demandeurs, acteurs de terrain (par définition, décideurs de leur propre activité), ainsi que de l’intervenant lui-même, garant du cadre de l’intervention et qui porte ses propres contraintes et capacités déontologiques.
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