Dans son livre Pourquoi travaillons-nous ?, la sociologue du travail Danièle Linhart reprend Yves Clot et rappelle que « le travail est un effort personnel adressé à « un destinataire absent » qui n’est autre que la société, laquelle d’ailleurs n’est pas seulement « sur-destinataire »1 mais également commanditaire. » du travail (Linhart, 2008)
Ce que l’auteur pointe ici n’est autre que le sens social du travail, et sa visée individuelle. Pourquoi travaillons-nous ? Parce que cela apporte un sens à notre place dans la société. Le commanditaire de ce que je suis capable de produire par mon activité est la société elle-même2. C’est pourquoi la raison d’être de l’entreprise à mission, ou simplement le projet collectif de l’entreprise, doit impérativement être clarifié, lisible dans toutes les activités de l’entreprise, vécu par tous dans le quotidien du travail pour lui donner du sens.
Aussi, si en matière de coopération il est nécessaire de définir le projet commun à l’oeuvre, il faut également rappeler que ce projet commun étant commandité par surcroît par la société, il doit donc avoir du sens pour celle-ci. En d’autres termes, dans le dialogue s’instaurant entre l’individu et le « sur-destinataire » de son travail, au travers du collectif dans lequel il peut l’élaborer, vient se jouer la question du sens et des potentiels conflits de valeurs qui peuvent en découler, mais également la question des contributions singulières dans la visée collective. C’est-à-dire que mon activité doit pouvoir aller dans le sens d’un travail collectif pour contribuer au sens commun de la société. C’est un des enjeux majeurs – sinon le premier – de la santé au travail, car ma capacité à oeuvrer au sens commun dépend de ma capacité à exprimer dans mon activité ma contribution singulière (ma part de créativité individuelle au sens de Winnicott).
L’organisation a donc une double mission en matière de sens : identifier un besoin sociétal auquel répondre, et organiser collectivement la réponse au travers de la multiplicité des compétences individuelles co-opérantes. Elle doit donner un sens pour faire sens.
C’est à ce prix que la coopération devient possible : lorsque le sens collectif est clairement identifié, car c’est à l’aune de celui-ci que se détermineront les interprétations collectives et individuelles de la prescription du travail qui constituent l’activité. Ces interprétations constantes et leur résolution par le collectif3, sont le signe d’une bonne santé DU travail, c’est-à-dire d’une coopération saine.
👉 La visée de l’intervention en clinique de l’activité est de transformer l’organisation pour créer une coopération saine au travers du « développement d’une activité médiatisante du collectif sur lui-même, sur le métier et sur la situation ». (Lhuilier, 2020)
Travailler avec le collectif au développement de leur autonomie décisionnelle va de pair avec cette capacité à agir et à interpréter son activité sur la base d’un référentiel commun – genre professionnel – qu’il va s’agir de construire et de convoquer. Ainsi, quand le sens collectif est identifié (répondre à une attente de la société comme sur-destinataire du travail), le collectif va pouvoir discuter de sa capacité à « faire du bon travail » pour répondre à la commande et faire sens.
👉 Instituer une coopération saine et performante dans l’organisation va donc nécessiter d’abord de s’assurer du sens collectif, de mettre en lumière les contributions singulières et fonctionnelles, puis de retrouver la capacité dialogique en collectifs de travail par l’institution d’espaces de discussion sur le travail sécurisés et sécurisants permettant cette mise en discussion du conflit de critères.
- pour parler comme Bakhtine ↩︎
- Cela correspond d’ailleurs à la thèse d’Émile Durkheim pour qui « la fonction principale du travail est de garantir la cohésion sociale, d’assurer la solidarité, de produire de l’intégration sociale. » (Méda & Vendramin, 2013) ↩︎
- Ce que l’on appelle le « conflit de critères », c’est-à-dire la controverse professionnelle autour des critères qui détermine le « travail bien fait ». ↩︎
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