Étymologiquement, la clinique est une médecine qui se fait au lit du malade. La clinique du travail désigne « une démarche partant du terrain, se déployant sur le terrain et retournant constamment au terrain en lui donnant pour objet d’étude la situation de travail, c’est-à-dire le couple formé par le sujet, d’une part, sa tâche et son environnement, d’autre part. »1 avec comme objectif la transformation durable de l’organisation au service de celle-ci et de la santé au travail de ses acteurs. La clinique du travail va donc s’attacher à questionner les rapports entre pratiques de travail et subjectivité en travail afin de faire évoluer l’organisation de l’intérieur et de développer le pouvoir d’agir de tous ses acteurs.
🙄 Évacuons donc d’ores et déjà l’action du conseil dont les pratiques sont davantage normatives : faire appel à un expert pour qu’il applique un ensemble de méthodes qui « ont fait leur preuve », avec le risque d’obtenir les gains attendus à court terme, mais sans garantie sur leur pérennité (que se passe-t-il quand le consultant s’en va ?…) ni sur la santé des salariés (ont-ils eu leur voie au chapitre, ont-ils été transformés eux-même ?).
Cette « folie de la normalisation » est d’ailleurs ce contre quoi s’insurge Dejours quand il évoque la gouvernance par le nombre : auparavant, l’organisation du travail était l’apanage des ingénieurs qui étaient sur le terrain et connaissaient la réalité du travail ; aujourd’hui les directions sont composées pour beaucoup de gestionnaires qui n’ont plus cette connaissance fine du geste technique et qui pensent le travail en objectifs d’un côté et performance de l’autre. Le résultat du travail n’est plus corrélé au travail réel qu’il a fallu fournir pour obtenir ce résultat. Difficile alors de discuter du travail : manager uniquement par objectifs pousse à la standardisation. Or plus on standardise le mode opératoire, plus on réduit l’accès à la créativité des travailleurs. (Dejours, 2022) Et ainsi l’accès à leur subjectivité au travail. Ce mode d’action est antinomique avec la clinique de l’activité.
Mais surtout, cela rappelle que si la standardisation a longtemps été synonyme de rentabilité et de performance, nous savons aujourd’hui qu’elle n’en est pas l’unique levier, loin s’en faut. Et que seule, elle engendre des coûts cachés (qui le sont de moins en moins) en termes de ressources humaines : absentéisme, turn-over, difficuulté de recrutement, maladies professionnelles, ou dossiers prud’homaux…
❗ Ce que l’on veut signifier ici est que le conseil et l’intervention clinique sont deux modalités bien distinctes, qui ont toutes deux leurs avantages, et leurs inconvénients.
👉 Avec le conseil : peu de discussion, on fait appel à un expert, on applique des méthodes reconnues pour leur efficacité (a priori) qui, même si elles ne sont pas parfaitement adaptées, vont permettre d’améliorer rapidement une partie des questions soulevées. Le changement n’interviendra pas sur le long terme mais on aura déjà gagné quelques coudées.
👉 Une intervention en clinique de l’activité permettra à l’inverse aux acteurs de l’organisation de construire leurs propres solutions, guidé par un expert dans leur démarche de raisonnement et donnera aux acteurs une expérience renouvelée du dialogue et de la construction ; et c’est cette expérience revisitée qui permettra de développer sur le long terme des équipes coopérantes et autonomes, capables de faire évoluer d’elles-mêmes les process et d’améliorer elles-mêmes leur performance collective, en respectant leur santé et leurs conditions de travail.
- (Clot & Leplat, 2005) ↩︎
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